Les Magistères

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— Je te considérais comme plus douée, Emely. Je pensais que tu détestais l’échec. Ou peut-être me suis-je trompé à ton sujet.

 

 Emely serra son poing de colère. La voix du Patriarche qui venait résonner dans son crâne ne l’aidait pas à digérer ce cuisant échec. Son cœur brûlait d’une rage qu’elle n’avait plus ressentie depuis des années. Elle ferma un instant les yeux pour empêcher son ombre de se manifester.

 

— J’aurais pu réussir si la moitié d’Ignis n’était pas venu l’aider. Mais qu’importe, ce n’est qu’une question de temps.

— Mais à cause de toi, le Collège va porter une attention toute particulière à Anasteria. L’atteindre ne sera plus aussi facile. Dois-je te rappeler à quel point ta mission est cruciale ?

— Je le sais déjà, maitre. J’ai eu tort de penser que les ombres, et nos agents pouvaient suffire.

 

Un silence glacial s’installa soudainement. Emely pouvait sentir l’emprise du Patriarche se resserrer sur sa colonne vertébrale.

 

— Ignis nous ennuie depuis trop longtemps. C’est maintenant ou jamais que nous pouvons les détruire, et continuer notre plan.

— Anasteria ne me résistera pas, je vous l’assure.

— Sois prudente. Ne la sous-estime pas. Sa lignée s’est montrée particulièrement hargneuse au fil des années. Ses parents eux-mêmes nous ont causé trop de soucis. Mais si nous parvenons à l’avoir, nous pourrons franchir un immense pas dans notre conquête.

— Alors je m’assurerais que sa lignée s’arrête avec elle. Mais même si nous réussissons, cela ne change rien pour Toscan. Lui aussi doit être stoppé si nous voulons gagner.

— Toscan est plus vieux, et plus dangereux. Mais si nous l’empêchons de s’allier à Anasteria, il finira par s’user, et dépérir. Tout seul c’est un combat perdu d’avance, et il le sait. Reste concentrée sur elle.

 

Emely hocha lentement de la tête, et ouvrit ses paupières. Elle jeta un bref coup d’œil à son ombre qui demeurait docile, et attrapa les épées qui étaient disposées sur son lit.

 

— Je vais m’en occuper personnellement.

— Non, intervint le Patriarche. Tu te trouves trop loin de l’académie, et les défenses vont être renforcées. Tu ne pourras te rendre là-bas via l’autre côté. Donne tes instructions à nos agents, et laisse-les agir. Fais-leur comprendre que je ne tolérerais plus un seul échec, et que je me moque bien que leur couverture soit révélée aux yeux de tous. Je ne veux pas qu’Anasteria entre en contact avec Toscan.

— Et moi alors ?

— Notre héritière doit certainement avoir des gens auxquels elle tient en dehors de cette académie. Si nous ne pouvons atteindre ses amis, je pense que nous pouvons trouver des substituts.

 

Emely esquissa un sourire amusé en réfléchissant au prochain plan qui germait dans sa tête. Elle sangla ses épées dans son dos tandis que la voix du Patriarche résonna une dernière fois.

 

— Brise-la.

***

Anasteria regardait par la fenêtre de l’infirmerie. Elle fredonnait de satisfaction en sentant les rayons chauds des soleils jumeaux sur sa peau. Le solstice d’été approchait, et arrivait dans deux petites semaines. Et pourtant, l’ambiance festive avait quitté l’école. Bon nombre d’élèves avaient reçu l’autorisation de rentrer dans leur famille, afin d’éviter tout incident supplémentaire. Seules les pupilles de l’empire comme Johan ainsi que quelques autres étudiants restaient à l’académie. Mais cela ne parvenait pas à combler les immenses couloirs vides. Bien sûr, Anasteria était restée. Avec sa blessure, elle ne pouvait pas entreprendre le voyage jusqu’à Islac. Et pour être honnête, elle s’en trouvait soulagée. Elle ne voulait pas affronter le regard meurtri de sa mère face à sa brûlure. Et elle ne pouvait plus supporter les mensonges de ses parents. Elle s’en était toujours doutée, mais désormais c’était une évidence : elle ne faisait pas partie de la famille Horne. Impossible de venir d’une lignée d’amagus lorsqu’on possède des pouvoirs si puissants qui, selon l’esprit : traverse les âges pour ne jamais perdre en intensité face aux mélanges. Il se transmet de parent à enfant. Si Ryse avait raison, alors sa famille lui avait menti tout ce temps.

 

— Est-ce que votre bras vous fait encore souffrir ?

 

Anasteria ne pouvait toujours pas regarder sa blessure sans avoir une nausée. Sa peau blanche et douce avait complètement disparu au profit d’une rougie et striée. 

 

— Je ne sens plus rien, répondit-elle. 
— Bien ! s’exclama Apell. Je pense que la cicatrisation est terminée, mais je vais encore appliquer de quoi hydrater tout ça pendant quelques jours. On va devoir laisser tomber les bandages pendant un moment.

 

Anasteria grimaça. L’idée d’apercevoir cette horreur tous les jours ne l’enchantait guère, mais elle n’avait pas vraiment le choix. Son expression n’échappa pas à Apell.

 

— Tous les mages portent des cicatrices, vous savez ? Personne ne fera attention.
— C’est difficile de ne pas faire attention, siffla Anasteria. On ne voit que ça.
— Au moins, vous pouvez encore le bouger et l’utiliser. C’est un vrai miracle.

 

Anasteria soupira. Elle ressentait une puissante fatigue jusque dans ses os. Les journées à l’infirmerie au début de sa convalescence lui avaient semblé interminables, et même maintenant, les questions incessantes dans sa tête ne lui laissaient aucun répit.

 

Elle a raison, ça aurait pu être pire.

 

Anasteria réprima l’envie de regarder Ryse, assis négligemment contre l’appui de la fenêtre. Depuis son voyage de l’autre côté, elle le voyait presque toujours près d’elle, et elle était bien la seule. Sa compagnie aurait pu être pire, mais elle se languissait d’Ivona et Johan. Mais l’absence qui se faisait le plus sentir, c’était celle de Laurène, et par extension, celle de son frère. Anasteria se réveillait souvent la nuit en sueur, et revivait sans cesse l’instant où elle avait transpercé l’abomination, le moment où elle n’avait pas pu sauver son amie. Elle ne pouvait étouffer la culpabilité qui la rongeait désormais. Et pour ne rien arranger, Davos ne leur parlait quasiment plus. Il était parti quelques jours à Astela pour les funérailles de sa sœur, et depuis son retour, il se murait dans le silence. Suite à la demande de la famille De Vila, Davos avait changé de chambre, et même Johan n’était pas parvenu à lui parler. Anasteria n’avait pas pu lui demander pardon, et lui signifier à quel point elle se sentait désolée.

 

— Vous pouvez y aller. Si jamais la douleur revient, n’hésitez pas à venir me voir.

 

La voix d’Apell brisa le cercle infernal de ses pensées, et Anasteria remit doucement son haut. Elle ne remercierait jamais l’infirmière pour ses soins, et sa gentillesse. En réalité, tout le personnel de l’académie s’était montré incroyablement attentionné et compatissant envers elle. Iselia et Vari lui rendaient souvent visite pour lui parler et s’assurer qu’elle allait bien. Malgré tout, elle avait passé les dernières semaines à se faire interroger par les Magistères Pavus et Kaeso, et, malheureusement pour elle, Voxana. Fort heureusement, même si Voxana restait pour l’instant à l’académie, Ivona semblait la supporter. Quelques soirs, elle se trouvait nerveuse, et grincheuse, mais les disputes n’étaient pas réapparues. C’est donc tout naturellement qu’Anasteria retrouva Ivona et Johan à la sortie de l’infirmerie. Les deux étudiants attendaient patiemment leur amie, et Johan lui sourit aussitôt. 

 

— Hey Ana ! Alors, comment ça va ?
— Comme d’habitude, répondit-elle. Pas de douleur. Toujours aussi moche.
— Au moins, la cicatrisation est terminée.

 

Anasteria haussa les épaules, et ramena ses cheveux en arrière pour les attacher et essayer de lutter contre la chaleur qui gagnait l’académie. La sensation biaisée de ses cheveux dans sa main brûlée lui arracha un frisson, et elle cacha aussitôt sa main derrière elle. Elle ne savait vraiment pas si elle parviendrait à s’habituer à cette nouvelle réalité.

 

— Les magistères nous attendent, intervint Ivona. On ne devrait pas trainer.

 

C’était la dernière nouvelle qui arrivait de la capitale, et qui agitait les quelques étudiants toujours présents à l’académie. Le Collège avait voté une loi importante, et des magistères étaient venus en renfort pour trouver la raison de tous ces incidents. Et en conséquence, le trio d’amis devait, encore, parler devant des magistères. Anasteria sentait déjà la fatigue l’étreindre à l’idée de répéter une centième fois son histoire. Elle suivit d’un pas las Ivona et Johan pour aller à leur rencontre.

 

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